Drame lyrique
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ANGEL

François Ozon (France/GB/Belgique 2007 - distributeur : ABC distribution)

Romola Garai, Charlotte Rampling, Sam Neil, Michael Fassbender, Lucy Russell

134 min.
14 mars 2007
ANGEL

Angelica Deverell.
Quelle puissance romanesque dans cet accolement trop beau pour être vrai. Son prononcé ne peut que renvoyer à un imaginaire (*) fiévreux, extravagant et excessif.

Chimère parfaitement transposée par le réalisateur dans cette somptueuse fresque décrivant l’univers d’une jeune fille de 16 ans (*) qui, avec un aplomb sans pareil, va se mettre à écrire pour sortir, par la grâce de ses fantasmes ampoulés, d’une condition modeste qu’elle exècre.

Angelica - dont le diminutif Angel correspond si peu à son tempérament vaniteux, carriériste, égoïste - va devenir, comme elle le souhaite, une romancière riche et adulée avant de sombrer dans un oubli aussi radical que son ascension.

Il serait dommage de ne voir dans « Angel » qu’une débauche de soie satinée, de poses chichiteuses, de décors kitchissimes et de cadrages sophistiqués. Derrière cette apparence théâtrale, il y a la tentative d’une jeune femme de résister au quotidien dépressif et aliénant d’une petite bourgade minière loin de Londres. Il y a une vie que l’on décide d’offrir aux livres parce que ceux-ci font moins peur que les humains. Il y a au bout du compte la solitude d’une femme qui trouve refuge dans un monde chatoyant, baroque, tissé d’invraisemblances qui soulignent autant sa méconnaissance de la vie que ses fêlures mentales.

Voilà le grand mot lâché. Angel est-elle folle ? De cette folie narcissique (proche de l’auto-érotisme ) qui permet de puiser dans ses ressources intérieures de quoi lutter contre l’étroitesse de l’existence. De cette folie créatrice de mondes délirants que certains professeurs de littérature, comme Juan Rigoli à Fribourg en Suisse, n’hésitent pas à lire à la lumière de la science médicale.

Ozon (**), comme Fassbinder avant lui, sait tirer, d’une structure mélodramatique, la quintessence d’un caractère qui, sans suppléance, trébucherait aux cahots (chaos convient aussi) de l’existence.
Faut-il lire dans son habileté cinématographique l’aveu d’une part d’autoportrait ou la complaisance d’un cinéaste à malmener, jusqu’au masochisme, ses héroïnes féminines ?

Romola Garai a parfaitement compris que son rôle n’est pas d’émouvoir mais d’exaspérer les contradictions d’un personnage pour lequel le spectateur éprouve autant d’antipathie que de pitié. Son aisance à passer d’un registre gothique (vêtements noirs, teint blafard) à un maniérisme pré-raphaélique est étonnante. Elle est, à elle seule, un condensé de l’art anglais du XIXème siècle, de Shelley Wollstonecraft à Rossetti en passant par Worth l’inspirateur des robes inouïes qu’elle porte avec un insensé panache.

Garai est magnifiquement secondée par les prestations de Sam Neil, de Charlotte Rampling en bourgeoise condescendante et ironique et de Lucy Russell ("L’Anglaise et le duc" de Rohmer) étonnante de présence dans son souci de vivre dans l’ombre d’une Angel adulée. Allusion à peine voilée à une possible homosexualité que l’on retrouve dans tous les films du réalisateur.

Le recours aux couleurs claquantes du technicolor contraste avec la noirceur et la cruauté - celles de l’opposition des classes sociales - jamais absentes du cinéma d’Ozon.

Dans « Angel » s’il n’y a pas d’arsenic dans les dentelles, il y a une rageuse extravagance sous les falbalas. (m.c.a)

(*) en l’occurrence celui de l’anglaise Elizabeth Taylor dont le livre éponyme, publié aux éditions Rivages, s’inspire librement de la vie de Marie Corelli, cet auteur de best-sellers au style Biedermeier que la reine Victoria admirait beaucoup.
(**) dont on peut lire une très intéressante interview dans le magazine "Positif" de ce mois de mars.