A SINGLE MAN

[Le monde commun n’est pas le règne de la maîtrise mais du partage] Hannah Arendt

Nous sommes à Los Angeles en 1962. George Falconer perd son compagnon Jim avec qui il vit depuis 16 ans. La nouvelle lui est annoncée par un oncle qui par devoir lui fait la courtoisie de quand même l’appeler et terminer son coup de fil par un glacial  : "l’enterrement est pour la famille". 

A Single Man, premier film de Tom Ford, designer renommé, est adapté du roman sorti en 1964 de l’écrivain Britannique naturalisé américain, Christopher Isherwood à qui l’on doit la nouvelle qui sera la base du film Cabaret et merveilleusement porté par Colin Firth récompensé pour son interprétation à la Mostra de Venise.

Sujet sobre, film sur le deuil d’un homme homosexuel qui perd son ami, A Single Man n’en brasse pas moins une série de problématiques sociales profondes les reliant à la question de la peur. Peur qui enferme l’Amérique de cette époque dans un rejet des minorités de toutes sortes, peur qui pour Georges est la cause de la haine Nazie. Le film se meut simultanément sur trois plans : quotidien, psychologique et cosmique et c’est ce qui rend ce film intimiste à la fois si touchant et intéressant.

Porté par la voix off de Georges faites de réflexion sur la vie, les autres, de pensées et de sensations fugitives, le film alterne la chronologie avec des éclats de souvenirs de celui qu’il a aimé et de sensations subjectives. Georges est seul, très seul. Une femme, incarnée par Julian Moore constitue son lien avec le monde où, à deux, ils dansent leur solitude.

Méditation sur la rencontre et son unicité : "ce qui a compté dans ma vie sont les moments où j’ai vraiment été en contact avec quelqu’un. Ma vie s’est bâti autour de ces moments" . Contact à l’autre qui le rend si vivant dans un monde commun trop souvent restreint au partage de rapports sociaux et de convictions. 

Une manière pour Tom Ford d’affirmer une sensibilité, une manière de regarder et d’étreindre les êtres et les choses. Regard tranchant, délicat et sensuel qui scrute l’autre jusque dans le blanc des yeux.

Film d’un cœur qui lâche et d’une intériorité qui se meurt dans la solitude de son corps. Mais étrangement, le deuil de l’amour révèle l’Amour, celui de l’autre côté du désespoir et correspond à la rencontre de ce jeune étudiant, ange aux yeux verts avec qui dans une boucle du temps il redécouvre sa première rencontre avec Jim. Georges reconnait alors enfin la nécessité de tout, la singularité de tout, la réalité de tout.

A Single Man vous touchera je l’espère tant il donne voix à la sensibilité mineure pour qui le cœur et le monde ne font qu’un, minorité tapie en chacun dans un monde dominé par la peur où les enfants élèvent des scorpions et écrasent les papillons. (Ldj)