Comédie sociale
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7, RUE DE LA FOLIE

Jawad Rhalib

Dorothée Capelluto Ouidad Elma Lamia Ryl Sofiia Manousha Souad Amidou

85 min.
14 octobre 2015
7, RUE DE LA FOLIE

Trois sœurs, Samia, Selma et Sarah, vivent dans une ferme au cœur de la campagne. Pendant des années, leur père les a contraintes à suivre les préceptes d’un islam rigoriste tout en les gardant enfermées. Alors, lorsqu’elles réussissent enfin à se débarrasser de cet homme, elles n’ont qu’une envie, celle de profiter de leur nouvelle liberté.

Seulement, la réalité les rattrape rapidement et elles commencent à manquer d’argent. En guise de solution, Julie, la petite amie de Samia, a l’idée de proposer à des musulmans le droit d’asile en Europe via un mariage blanc avec Selma ou Sarah. Pour entrer en contact avec ces hommes, une page Facebook est créée avec le message : « Vous êtes un bon musulman et vous êtes à la recherche d’une femme musulmane européenne pour mariage, contactez-nous via Skype : FEMHALAL.COM ». Rapidement, un homme les contacte, il s’appelle Mohammed et n’a aucune idée de l’endroit dans lequel il s’apprête à débarquer. 

« 7, rue de la folie » est le premier long-métrage de fiction réalisé par Jawad Rhalib. Ce réalisateur d’origine belgo-marocaine a déjà à son actif plus d’une dizaine de films, la plupart étant des documentaires (« Le chant des tortues », « Les Damnés de la mer », « El Ejido, la loi du profit »). Il vient aussi de terminer un autre long-métrage de fiction, « Insoumise ». Projeté au cours du Festival International du Film Francophone de Namur l’année passée, « 7, rue de la folie » a été sélectionné au Festival de Valladolid ainsi qu’à celui du Nouveau Cinéma de Montréal. Entre-temps, il a remporté deux prix au cours du 11ème Festival Cinéma et Migration d’Agadir, celui du meilleur scénario et de l’interprétation féminine. 

À première vue, « 7, rue de la folie » est une comédie sans prétention réalisée avec peu de moyens et de temps. Mais ne vous y méprenez pas car ce film est une véritable bombe cinématographique. Oscillant entre la comédie, le thriller et le drame social, le tout saupoudré d’une bonne dose d’humour noir, Jawad Rhalib insuffle un nouveau souffle au cinéma belge. Tout commence par une scène de nuit avec un enterrement pour le moins étrange. Quatre filles voilées creusent un trou dans lequel elles mettent un corps. Soudain l’une d’entre elles dit qu’il faut l’enterrer en direction de la Mecque. Mais où se trouve-t-elle ? Elle propose alors de s’orienter grâce aux étoiles. Une autre lui demande si elle est sérieuse ? Finalement, le corps est enterré en direction du clocher de l’église. Avec ce prologue, le spectateur est prévenu, dans ce film, le réalisateur n’hésite pas à se moquer des conventions sociales et à jouer avec les tabous de la religion musulmane. Citons par exemple la scène où deux des sœurs se filment pour réaliser la vidéo de présentation pour le projet matrimonial Femhalal. Selma tente de rassurer sa sœur en lui expliquant qu’avec de la chance son futur mari sera beau, intelligent et qu’il la laissera peut-être conduire. Toutefois, derrière cette autodérision, le réalisateur cherche aussi à faire passer des messages à propos des dangers du communautarisme et revient sur les problématiques du sexisme, de la violence intrafamiliale et de la liberté de la femme. 

Ici, tous les hommes semblent être des pourris, du père en passant par le banquier, et même Mohammed, ce candidat recruté sur Femhalal, qui finit par devenir une menace. Alors même si ces quatre filles semblent se disputer à longueur de journée, elles savent qu’elles peuvent compter les unes sur les autres. Ce film est aussi une libération de la parole de ces jeunes femmes. D’ailleurs, la plus jeune d’entre elles, Sarah, a une espèce de besoin compulsif de parler tout le temps et très vite, jusqu’à répéter plusieurs fois d’affilée la même phrase ou le même mot.

Avouant s’inspirer du cinéma de Ken Loach et de celui d’Almodóvar, Jawad Rhalib n’hésite pas à appeler un chat un chat et ce langage cru contribue entre autres à la richesse de ce film qui entend dénoncer plusieurs réalités. 

En ce qui concerne l’aspect davantage cinématographique, « 7, rue de la folie » doit beaucoup à son scénario bien ficelé. Et la façon dont a été conçu le montage qui s’appuie essentiellement sur trois types de scènes, se révèle également très efficace pour le rythme du film. Nous avons ainsi d’un côté, des scènes très dynamiques où la caméra devient tout à coup très mobile. D’autres plus calmes, filmées en plan fixe, permettant au spectateur de reprendre ses esprits. Et enfin des scènes d’interrogatoires dans lesquelles les jeunes filles répondent à des questions permettant de comprendre petit à petit l’intrigue. Le récit aurait cependant gagné en clarté en fournissant davantage d’explications à propos de la scène d’ouverture. Quant à la musique, elle vient apporter cette touche de couleur qui permet de renforcer l’ambiance tantôt dynamique, tantôt mélancolique des différentes scènes.

Enfin pour conclure, n’oublions pas de mentionner l’interprétation remarquable des quatre actrices principales, Sofia Manousha, Ouidad Elma, Lamia Ryl et Dorothée Capellutto, qui incarnent avec brio ce quatuor complètement déjanté. 

Nathalie De Man