Festival

54e SEMANA INTERNATIONAL DE CINE DE VALLADOLID

1er décembre 2009
54e SEMANA INTERNATIONAL DE CINE DE VALLADOLID

Adam de Max Mayer

Adam souffre d’une forme d’autisme. Une fois qu’on le comprend, on ne rit plus autant. Au début, Adam apparaît comme une comédie douce-amère mais se transforme très vite en comédie romantique. Une comme celle-là, la machine hollywoodienne nous en sort 13 à la douzaine… Pourtant, soulignons quand même les quelques aspects de cette comédie édulcorée qui la sort un tant soi peu du lot réservé à ce genre de films. A travers l’autisme, et plus particulièrement le syndrome d’Asperger, le film oppose les conventions et les comportements socialement acceptables, à ce que chacun a en soi en plus ou moins grande quantité, un petit paradis égocentrique et égoïste au possible. Adam jongle entre sincérité et réalité sociale mais tire son propos en longueur et nous offre des instants de morale bon marchée dont on se passerait volontiers. Un film néanmoins très vrai grâce au très bon jeu de l’acteur principal (Hugh Dancy), qui se détache malheureusement beaucoup du reste des personnages qu’on calcule immédiatement, à peine apparus à l’écran. Encore un de ces messages qui nous parvient de l’autre côté de l’Atlantique : « Venez voir notre beau pays, comme les gens y sont riches et intégrés… » Eh bien, heureusement que d’autres font pencher la balance du cinéma de l’exotisme, sinon les frontières infranchissables se verraient assaillies d’hommes et de femmes en quête de ce fameux rêve américain…

Adam Resurrected de Paul Schrader

Si Adam divertit ni plus ni moins, on ne sait pas trop ce vers quoi Adam Resurrected tend… Ma première grande critique sera, encore et toujours… Quand va-t-on enfin pouvoir voir des rôles féminins diversifiés au cinéma ? Parce qu’entre la folle en quête désespérée d’un homme et l’infirmière nymphomane, la femme n’est toujours pas représentée au pluriel mais est restreinte, comme souvent, aux archétypes habituels… Quand on voit la diversification des rôles masculins du film, voilà quelque chose d’extrêmement exaspérant… Surtout quand on pense qu’il y a voilà plus de 40 ans que le débat a été lancé et que la notion de ‘femme’ reste antithétique à celle de ‘femmes’ (1) : “La première  étant l’image projetée dans les films par le cinéma classique ; la seconde, la réalité des femmes comme sujets historiques,” selon Anne Gillain dans son article “L’imaginaire féminin au cinéma”. Mise à part ce problème majeur, le film du scénariste de La dernière tentation du Christ ne propose rien ou pas grand chose… Les conséquences désastreuses des horreurs prodiguées aux juifs dans les camps de concentration, sur un fond humoristique et cathartique, entre Vol au-dessus d’un nid de coucou et L’enfant sauvage… La petite explication finale style Buffy contre les vampires pour ceux qui n’auraient rien compris n’améliore évidemment rien…

Amerrika de Cherien Dabis

Mona et son fils Fadi fuient un pays où les décisions sont prises par les hommes, même si celui-ci a à peine 12 ans et surtout d’un pays qui n’“existe” pas réellement et duquel ils sont prisonniers depuis bien trop longtemps. Empli d’espoirs, la mère et le fils réalisent le rêve d’un bon nombre de palestiniens et émigrent aux Etats-Unis. Amerrika , loin de cette Amérique reluisante que nous connaissons tous, nous présente la dure réalité des immigrés, le sentiment de non-appartenance, mais surtout les nombreux préjugés sur le monde arabe que les protagonistes doivent affronter pour être (un peu) intégrés au pays de la “liberté”… Sans tomber dans la dichotomie, la réalisatrice Cherien Dabis nous présente une réalité qu’elle connaît bien, à travers des visages très variés, d’un pays comme de l’autre, de leurs habitants et immigrés. Sur un ton très juste et empli d’émotion qui donne la parole à différentes générations, Amerrika est une ode à la tolérance et à l’intégration, une tragi-comédie intelligente que je souhaite voir faire le tour du monde…

Away We Go de Sam Mendes

Loin de son Revolutionary Road , Away We Go est une comédie apparemment sans prétentions. Comédie du monde moderne, du couple moderne, de la complexité de la vie mais qu’il faut prendre avec simplicité et surtout saisir sans s’imposer de contraintes à soi-même ! Voilà, je crois, ce que Sam Mendes a voulu nous faire passer… On n’est jamais content et pourtant qu’est-ce qui nous empêche vraiment d’être heureux ? On ne le sait parfois même plus, tellement nos obsessions finissent par nous dévorer. Le voyage comme remède ? Ou plutôt, la vie à deux comme remède ? Chacun sa recette. Une légèreté qu’on ne retrouve pas souvent dans le cinéma de Mendes, un film plutôt optimiste à savourer…

Casanegra de Nour-Eddine Lakhmari

Une fois le jeu de mot trouvé entre Casa blanca et Casa negra , le réalisateur ne le lâche plus, il le répète, l’explique, le répète encore et nous lasse. Nour-Eddine Lakhmari a voulu nous montrer à quel point Casablanca pouvait incarner les mêmes thèmes universels que n’importe quelle grande ville ; tels que la violence, le manque de travail, la prostitution, l’homosexualité, la corruption, l’amour, et j’en passe. Casablanca apparaît dès lors comme un personnage doté d’autant de qualités et de défauts, repoussant avec force l’image politico-économique et religieuse du Maroc que le réalisateur voulait à tout prix éviter. Ce faisant, il compose des dialogues pesants et intègre ses acteurs amateurs dans une mise en scène démesurée. Malheureusement, ce petit hic se transforme rapidement en un hoquet qui ne passe pas : une esthétique de contre plongées et de montage alterné qui donne mal au cœur, tout en prétendant perdre les personnages dans l’immensité urbaine. L’exagération de ces petits « trucs » à l’américaine fait parfois penser à la série B et discrédite totalement cette histoire sans début ni fin…


Cooking with Stella
de Dilip Mehta

Selon moi, ce film est la honte du festival de Valladolid. Plein de clichés, sans surprises et dangereux… La matrice annonce déjà les stéréotypes sur lesquels le film va être fondé : le clash culturel simplet entre une famille d’ambassadrice moderne et une aide de maison indienne traditionnelle et catholique à ses heures ! Le film est comme coupé en deux. Entre un récit d’apprentissage de la cuisine indienne, mais filmé d’une manière qui échoue même à nous donner faim, et un pseudo-thriller à la Matchstick Men ( Les associés ) en évidemment beaucoup moins bon car, si le but était de nous faire prendre au jeu, je dois dire que j’ai rarement vu quelque chose d’aussi raté ! Et dangereux ? J’espère seulement que ce film n’atteindra pas un trop grand nombre de personnes qui risqueraient de considérer tous les indiens comme des arnaqueurs…


Eloïse
de Jesús Garay

Sur un ton érotique, sensuel et simple, Eloïse nous raconte l’éveil de la protagoniste Asia à une sexualité sincère et sans complexe. De manière très touchante, le réalisateur nous emmène dans la vie adolescente de deux jeunes femmes à priori très différentes. Avec beaucoup de subtilité et de justesse, les deux actrices transmettent des émotions qui nous prennent au coeur et ne nous lâchent pas… A quelques reprises néanmoins, la musique en fait trop, et nous prend par la main vers un lieu où nous ne voulons pas nous laisser entraîner... La piscine dans laquelle se fondent les protagonistes réapparaît trop souvent sans qu’elle n’ait vraiment de sens. Malgré tout, le film de Jesús Garay nous autorise une bouffée d’air dans un festival assez inégal comme bien d’autres… Les flashbacks intelligemment insérés dans la structure, ainsi que la sensibilité des gros plans nous aide à surpasser la dichotomie que le film installe sans en avoir l’air. Quand le bonheur se situe au-delà des conventions...


The Girlfriend Experience
de Steven Soderbergh

Le retour de Sex, Lies and Videotape  ? Non, mais les échos ne manquent pas. Entre documentaire, journal intime et fiction, Soderbergh nous emmène dans la vie d’une escorte à priori bien dans sa peau, qui se dévoile, un peu. Elle nous laisse pourtant sur le seuil, de la même manière que le journaliste qui l’interroge, ou que son petit ami qui la comprend et l’accepte mais qu’elle n’arrive pas à assumer complètement… Derrière un nombre de factures différentes et une temporalité chaotique, Soderbergh protège sa protagoniste du regard voyeuriste de ses clients et des spectateurs. Intelligemment, il nous intègre dans la fiction, qui en fait se situe plus proche du documentaire, et d’autant plus que Sasha Grey venant du cinéma X, incarne le personnage principal. Une expérience métafilmique qui nous laisse perplexe quant à sa forme et sa thématique délicate mais traitée avec excellence.

Honeymoons de Goran Paskaljevic

Après la trop longue introduction de la deuxième histoire, on a déjà oublié de quoi parlait la première et on se désintéresse complètement du sort des personnages principaux. Dommage, car le thème du film était prometteur… Malgré l’interlude Kusturikien, ni l’absurde de la situation albano-serbe, ni le film politique ne fait ses preuves. Deux histoires autour des difficultés de l’immigration construites en parallèle amènent artificiellement le conflit séparant les serbes des albaniens. Le jeu plutôt moyen de certains acteurs principaux nous détache d’autant plus de l’histoire qui n’offre aucune surprise et reste en suspend. On attend le dénouement… Espérons qu’il soit pour bientôt, mais cette première coproduction albano-serbe est déjà un premier pas.


La isla interior
de Félix Sabroso et Dunia Ayaso

Si le couple de réalisateurs n’est pas parvenu à convaincre avec leur premier long il y a presque 10 ans, (2) je doute qu’ils y arrivent beaucoup plus avec celui-ci. Le public est sorti mitigé de la salle, en ne sachant pas si considérer le film comme une comédie grotesque ou un portrait raté de la schizophrénie… Pourtant, ce que j’en ai moi-même conclu, c’est que seule Gracia (Candela Peña) aurait hérité de la maladie de son père, tandis que les autres membres de la famille n’arrivent tout simplement pas à intégrer la société dite « normale »… Pour ce qui est de la comédie, l’humour n’est pas ce qui manque, et est même contrebalancé par des éléments qui font froid dans le dos, et qui nous place entre le rire et les larmes. Mais le film ne trouve pas d’ancrage, ni dans le fond ni dans la forme, et surtout n’en finit pas. Avec des acteurs/actrices aussi reconnu(e)s que Candela Peña, Alberto San Juan, Cristina Marcos et Géraldine Chaplin, on déplore énormément le manque d’attraits de l’histoire et ses trois ou quatre fins, avant d’en finir d’une manière on ne peut plus clichée !


Lille Soldat
d’Annette K. Olesen

D’une contrée lointaine, Lotte revient. Elle porte sur son visage les marques d’une blessure, d’une blessure profonde qui ne guérira sans doute jamais. Dans les vapeurs d’alcool, sa vision se trouble… De même que lorsqu’elle réalise que son père est proxénète derrière ses airs de papa gâteau bienveillant. Des gens qui lui veulent du bien, Lotte en rencontre beaucoup, pourtant elle semble à côté de sa vie et ne se laisse pas approcher. Et quand c’est elle qui veut aider, elle est repoussée de la même façon. Comment faire avec la vie quand on en n’a pas le contrôle ? …Ou quand on n’arrive pas à la saisir ?


Luna caliente
de Vicente Aranda

Quand les lumières se sont rallumées, plus de la moitié de la salle tapaient des pieds pour exprimer leur mécontentement. D’après les échos, le public était déçu du manque de fidélité historique dont le film faisait preuve. Pourtant, le film de Vicente Aranda ne prétendait pas reconstruire l’époque de Franco mais utiliser la corruption et la manipulation d’information qui la caractérisaient comme toile de fond à l’histoire. Et l’histoire c’est celle de Juan (superbement interprété par Eduard Fernández) qui viole Ramona et se voit embarqué dans une histoire à dormir debout. Vicente Aranda met en scène la vieille légende comme quoi les femmes n’attendent qu’une chose, se faire violer et en redemander, parce que c’est bien connu, les femmes sont toutes des salopes ! Marre !! Mais, le réalisateur averti se rattrape… Juan ne s’en sort pas si bien, et est hanté jusqu’à la fin par ses crimes impunis. Une très belle image porte cette histoire qui tend vers l’absurde et nous laisse perplexes…


Le père de mes enfants
de Mia Hansen-Love

Voici un film bien d’actualité à l’heure où le surmenage fait enfin parler de lui et que les suicides liés à la pression laborale ne cessent d’augmenter… Bon d’accord, je viens de vous révéler le « turning point » du film, mais pas de panique, il reste encore beaucoup de temps et pourtant pas grand chose à voir… Mia Hansen-Love multiplie les points de vue en se focalisant sur la fille puis sur la femme du protagoniste mais sans jamais réellement donner la parole à ses personnages. Grégoire l’avait mais l’a perdue, sans nous laisser l’envie de savoir ce qui allait advenir des films qu’il était en train de produire… Les éléments ajoutés à l’histoire post-mortem de Grégoire la dispersent, mais la prolongent pour ceux qui restent. Une douce comédie optimiste en vertu de sa thématique… La vie poursuit son court, pour les personnages comme pour les spectateurs, sans aucune trace de plus…

 

My Queen Karo de Dorothée Van den Berghe

Soulignons avant tout une prestation incroyable de la jeune actrice qui interprète Karo et une direction d’enfants à couper le souffle. C’est réellement elle qui nous fera entrer dans le monde de ses parents, fait de fleurs, d’amour et de musique. My Queen Karo met en scène l’époque hippie des années 70 dans la capitale des libertins Pays-Bas, Père divorcé de la Belgique que nous revoyons enfin unie… Un père flamand, une mère wallonne et une fille bilingue, nous y revoilà ! Depuis l’époque de Delvaux et du Mur « à suivre » de Berliner, on l’avait presque oublié ce cinéma-là… La réalisatrice nous confie que son film nous ramène à une époque telle qu’elle l’a connue, de son point de vue de petite fille. Cela lui permet de capter l’atmosphère d’une époque idyllique qui a malheureusement laissé moins de traces qu’on pouvait espérer sur la société actuelle…


Xtrems
d’Abel Folk et Joan Riedweg

Une expérimentation sur les filtres de couleurs donne le ton et tente de transmettre l’émotion façon Tarantino… Réussi ? Pas tellement. L’effet fait plus penser à une couche d’image supplémentaire qui crée un effet de distanciation, plutôt que de répondre aux désirs des réalisateurs. Cependant, la structure de l’histoire participe aussi à nous situer à distance, à titiller la réflexion, non seulement sur le sujet du film – l’addiction (de manière très similaire à Un dernier pour la route ) –, et sur le film comme reflet et analyse de la réalité. Entre le documentaire et la fiction, Xtrems relève un pari audacieux, et même si la forme n’est pas toujours en adéquation avec ce que le film veut transmettre et que les problèmes techniques sont nombreux, le message passe, choque, active la réflexion, et espérons-le, la pousse au-delà… Même si malheureusement, le film a peu de chance de se voir projeter en salle.

(Maud Ceuterick)

(1)Gillain, Anne. “L’Imaginaire féminin au cinéma.” French Review 70.2 (1996) : 259-270. (Disponible sur J-Stor)

(2) Perdona bonita, pero Lucas me quería a mí.