Coup de coeur mensuel
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Coup de coeur38 TÉMOINS

Lucas Belvaux (Belgique 2012)

Sophie Quinton, Natacha Régnier, Nicole Garcia, Yvan Attal, Patrick Descamps

14 mars 2012
38 TÉMOINS

Yvan Attal tout en intériorité. Comme Henry Fonda dans « Twelve angry men » de Sydney Lumet. Seul contre tous.

Seul à ne pas accepter que sa conscience soit étouffée par l’indifférence. - la forme la plus atroce et permanente de la cruauté pour Marcel Proust .

L’indifférence à la mort d’une jeune femme. Fin anonyme. Fin révulsante quand on apprend que son martyre a duré plus d’une demi-heure et que 38 témoins, hommes et femmes, jeunes et vieux ont vu et surtout entendu la mise à mort. Sans penser à intervenir ou à téléphoner à la police.

On le sait le cinéma de Lucas Belvaux est intelligent et exigeant. Sans un mot de trop, sans une scène inutile, en refusant de se laisser déborder par l’émotion, il décline, de film en film, la même cohérence.

Celle d’un combat.

De l’homme confronté au misérabilisme (« La raison de plus fort »), à la violence (« Rapt »), à la désespérance (« La trilogie »)

Dans " 38...", le combat sera de l’homme contre lui-même et la lâcheté naturelle qui l’habite et le rend frère des 3 singes dits de la sagesse ( ??) qui n’entendent pas, ne voient pas et ne parlent pas.

De l’homme contre les "institutions" (la police, la justice qui ne cessent de préférer la loi de l’Omerta à celle de la Vérité que sous la pression de la presse)

C’est par un regard dont la force dénonciatrice n’a rien à voir avec la morale, par une analyse presque neutre et détachée d’un fait-divers, par une mise en scène à la beauté austère que le cinéaste nous entraîne à vivre un questionnement sans réponse qui devient peu à peu un malaise.

Une souffrance. "Qu’auraient dû faire les protagonistes ?"

L’indifférent, celui qui "ne veut pas d’ennuis" n’est-il pas aussi coupable que le criminel ?

Subtilement chargé d’émotion malgré ou plutôt grâce à sa sobriété, sa magistrale scène d’ouverture, son envoûtante bande son, ses cadres rectilignes qui enferment les personnages dans les pièges de leur apathie, « 38 témoins » n’est pas qu’un un film noir.

Il est une poignante réflexion sur les horreurs de la vie urbaine (*) (mais est-on sûr que la situation eût été différente dans un autre contexte ?) dans laquelle les mots attention à autrui, solidarité et empathie n’ont plus droit de cité.

Lucas Belvaux signe à la fois une chronique de la vie quotidienne, de la condition humaine dans ce qu’elle a de sordide et de banal et porte un témoignage contre l’enlisement de notre société dans une torpeur qui, lorsque les circonstances s’y prêtent, peut devenir pathogène. Assassine.

S’il est vrai que le cinéma n’est pas là uniquement pour inventer mais pour reconnaître, alors « 38 témoins » participe de la quintessence d’un art qui invite à nous interroger sur ce que nous voyons.

Sur la manière dont nous regardons.

Sur la barbarie qui consiste à détourner les yeux lorsque l’autre a besoin de notre aide. (mca)

(*) dans le roman « Est-ce ainsi que les femmes meurent ? » de Didier Decoin (que le cinéaste a choisi de dégraisser de tous ses aspects "recherche du criminel") l’intrigue se passe dans le quartier de Queens à New York, chez Lucas le récit se déroule au Havre - « it town » depuis « La fée » d’Abel & Gordon ou le dernier film éponyme de Aki Kaurismaki mais surtout ville déchirée entre la terre et l’océan

Entre un besoin de vivre appendu à des réalités de terrain concrètes, souvent mesquines et une envie, face à la vastitude de l’Atlantique, de faire éclater le carcan du repli sur soi.