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17 FILLES

Delphine & Muriel Coulin (France 2011)

Louise Grinberg, Juliette Darche, Roxane Duran, Esther Garrel, Yara Pilartz

87 min.
14 décembre 2011
17 FILLES

C’est parce qu’il est un mystère que « 17 filles » mérite notre attention.

C’est parce que l’énigme de la vie et ses entrelacs qui mêlent inextricablement conscient et inconscient y sont irrésolus que « 17 filles » suscite un étonnement.

Dont on peut se demander s’il n’est pas fonction de l’âge du spectateur ou du moins de l’intensité de sa pulsion hormonale. Plus celle-ci s’amenuise, plus le questionnement voire la perplexité (l’effarement ?) sont au rendez-vous.

Le premier long métrage des sœurs Coulin, à la fois cinéastes (*) et scénaristes, raconte lisiblement c’est-à-dire de façon telle que chacun puisse comprendre en surface ce qui se passe - 17 lycéennes tombent enceintes en même temps – une histoire, tirée d’un fait divers, qui sous l’épiderme du récit cache un écheveau de choses.

Mystérieuses, insolubles, qui donnent au film sa singulière âpreté faites d’irresponsabilités, d’immaturités, de paris dangereux prenant socle sur un sentiment d’insatisfaction, d’éclatement de la cellule familiale et une illusion que les enfants à naître apporteront ce qui manquent à leurs jeunes mères.

Un besoin d’en découdre avec leurs propres parents et leur montrer qu’on peut faire mieux qu’eux.

Un désir de remplir la vacuité d’un présent plombé par la grisaille d’une ville, Lorient, désertée par les investisseurs et dès lors guettée par la déprime sociale et le manque d’avenir.

Film singulier mais aussi film qui peut irriter les féministes qui ont milité dans les années 1960 et 1970 parce que ces grossesses ont quelque chose de régressif faisant de l’enfantement la réponse privilégiée aux interrogations du quotidien d’adolescentes qui semblent avoir perdu toute confiance dans les aides habituellement considérées comme référentielles - les assistantes sociales, les professeurs, les aînés, les psychologues.

Régressif et dangereusement aliénant parce que ces jeunes filles semblent, comme les moutons qui suivent celui de Panurge, avoir perdu toute capacité de réflexion. Soucieuses avant tout d’adopter, comme les adeptes d’une secte, l’idée de l’une d’entre elles reconnue par les autres comme leur meneuse (de troupeau ?) : faire du ventre le nid d’une nouvelle utopie.

« 17 filles » est une version féminine des dangers de l’endoctrinement (et du leadership) tout comme « Taps » de Richard Brooks en était la version masculine - dans une académie militaire de jeunes garçons abdiquent de toute pensée personnelle pour mieux apprendre à marcher au pas.

Dans la première la vie doit être donnée à tout prix et peu importe dans cet acharnement l’avis du géniteur écarté du débat comme dans la chanson de Jean-Jacques Goldman "Elle a fait un bébé toute seule" et l’absence de perspectives matérielles et financières.

Dans la seconde la vie peut être enlevée dès que résonnent les diktats d’une autre utopie : les mots virils de combat, honneur et victoire.

Même si l’on peut regretter une certaine « doucerosité » dans la mise en scène de « 17 filles », il n’en demeure pas moins vrai que le film irradie d’une force, celle du mystère insondable des jeunes filles en fleurs (**), incarnées ici par de bien jolies interprètes qui connaissent parfaitement l’art de secouer les cheveux comme connaissaient celui de manier les éventails les élégantes du Second Empire.

D’une force et d’une ouverture qui interpelle : quelle est la part de responsabilité des adultes dans cet élan à tomber enceintes ensemble ?

En quoi cet élan est-il l’expression d’une remise en cause d’une société gangrenée par l’égoïsme, le délitement du lien à l’autre, l’assistanat qui infantilise, le Droit qui ne colle pas aux réalités de terrain ?

Une force, une ouverture et une réflexion propre à chacune : si vous étiez (encore) une lycéenne seriez-vous la 18ème ?

(mca)

(*) L’une d’entre elles, Muriel, a été assistante caméra sur les quatre derniers Kieslowski. Ce qui peut expliquer le soin accordé à la lumière dans ce film. (**)« Picnic at Hanging Rock » de Peter Weir, “Heavenly creatures” de Peter Jackson, « Virgin suicides » de Sofia Coppola