C’est toujours avec une fébrilité curieuse que je retrouve le Festival de Cannes car, pour parodier le poète Paul Valéry dans le « Cimetière marin », pour moi, le Festival est, comme la mer, « toujours recommencé ! »
Lors de cette 77e édition, entre les films de la Sélection officielle : la Compétition (22 films), Cannes première (8), Un certain regard (18), de la Quinzaine des cinéastes ( 20) -on ne dit plus réalisateurs heureusement-, et ceux de la Semaine de la Critique (7), quelques tendances se dessinent et quelques moments forts se dégagent :
• Une ouverture symbolique avec le film « Le deuxième acte » de Quentin Dupieux, sorte de satire féroce qui se moque du monde des acteurs et du cinéma,
Une séance d’ ouverture dominée par des « femmes d’exception » : Camille Cotin, en maitresse de cérémonie, Greta Gerwig en Présidente du Jury, Meryl Streep recevant la Palme d’honneur et la présence d’un jury paritaire … mais encore trop peu de réalisatrices susceptibles de recevoir la Palme : 4 cette année contre 7 en 2023.
Les femmes réalisatrices ne sont pas mieux loties en pourcentage dans les autres sections : 4/19 à la Quinzaine , 4 à Un certain regard et 1/7 à la Semaine de la critique mais présentes avec des œuvres fortes, violentes : Ariane Label avec l’étrange et inquiétant « Septembre says », Laetitia Dosch avec « le Procès du chien », Céline Sallette avec « Niki » , « Maria » de Jessica Palud, « Animale » d’Emma Benestan, « La Belle de Gaza » de Yolande Zauberman etc.
• Des films qui, chacun à leur manière, décrivent un monde au bord du gouffre que ce soit sur le thème de l’oppression, du patriarcat, des désastres écologiques, de l’exclusion et qui mettent en scène des personnages qui résistent et tentent de se libérer :
– sur l’identité sexuelle qui a été un des thèmes de ce Festival, de très beaux et forts films dont « Emilia Perez » d’ Audiard. Il faut saluer la décision du jury d’attribuer le prix d’interprétation féminine à l’actrice trans Karla Sofia Gascon ainsi qu’aux 3 autres actrices du film mais le geste aurait sans doute plus fort de ne l’attribuer qu’à Karla Sofia Gascon …
– sur l’homosexualité, le thriller décalé aveyronnais « Miséricorde » d’ Alain Guiraudie, « Baby » de Marcelo Caetano qui, dans le milieu de la prostitution à Sao Polo réussit à raconter une histoire d’amour, « Motel destino » thriller érotique sur les jeux de violence dans un motel sordide de Karim Ainouz (1), « Vivre, mourir , renaitre « sur les bouleversement du sida sur 3 personnages qui s’aiment de Gael Morel, « My sunshine » de Hiroshi Okuyama,
– sur le harcèlement avec le film belge « Julie keeps quiet « de Leonardo van Dijl, « Armand » de Halfdan Ullmann Tondel, « Maria » de Jessica Palud,
• La quasi absence des films belges cette année contrairement aux années précédentes : le film flamand, « Julie keeps quiet » sur le harcèlement dans le milieu du sport a reçu deux prix, celui de la SCAD ainsi que celui de la Fondation GAN.
• En matière de représentation de pays,
– à noter cette année l’absence de l’Afrique, contrairement à 2023 (souvenez vous des très beaux films venant du Sénégal, de la Tunisie, du Maroc, de l’Algérie, du Cameroun, du Soudan…)
– mais la présence de l’Inde avec des films forts sur des femmes qui tentent de se libérer dont « All we imagine as light » de Payal Kapadia, « Santosh » de Sandhya Suri,
– et l’apparition de l’Arabie Saoudite dans la section « Un certain regard » avec le film « Norah » du cinéaste Tawfik Alzaidi,
– ainsi que du retour en force du Brésil après les années noires de Bolsonaro avec 3 films "Baby", "Motel destino" et "Amarela",
• Une grande déception pour la Palme attribuée au film « Anora » du réalisateur indépendant américain (est ce la raison ?) Sean Baker qui raconte les tribulations cocasses d’une travailleuse du sexe américaine avec le fils d’un oligarche russe ; Non pas que le film soit mauvais , loin de là mais c’est une comédie très bien réalisée, drôle et bien enlevée sans autre message.
• Un énorme coup de cœur pour un merveilleux film d’animation, « Flow » de Gints Zibalodis qui suit , dans un univers envahi par l’eau , un chat qui trouve refuge sur une bateau .. avec d’autres animaux avec lesquels il devra s’entendre… Un moment de poésie, de plaisir..
• Un énorme coup de poing , celui donné par le film iranien de Mohammad Rasoulof « Les graines du figuier sauvage » : un très grand film, essentiel, qui a tenu debout pendant 20 mn dans la grande salle Louis Lumiére du Palais 2300 personnes, dont certaines comme moi en pleur, face au cinéaste (2) qui a déclaré « Mon peuple vit chaque jour sous un régime qui l’a pris en otage ».
En début de film qui est une charge politique contre la dictature, une phrase sur le symbole du figuier sauvage dont les graines font surgir de nouvelles branches qui enlacent le tronc de l’arbre hôte jusqu’à l’étrangler. Le figuier sauvage se dresse enfin, libéré de son socle. … Les graines du mouvement iranien » Femmes vie liberté » ont été semées comme celles du figuier qui restera gravé à jamais dans l’histoire du Festival.
Ce film a reçu le Prix spécial du jury. Lui donner un prix spécial c’est lui donner une sorte de demi-prix ; il aurait dû recevoir la Palme comme signal politique fort donné par le Festival au soutien de l’art du cinéma à la lutte des artistes iraniens contre la répression.
En conclusion, des moments très forts lors de films bouleversants mais déception pour La Palme.
A l’année prochaine , pour d’autres surprises et coups de cœur.
France Soubeyran
(1) Réalisateur en 2023 de « la vie invisible d’Euridice Gusmao »
(2) Mohammad Rasoulof a été puni pour 8 ans d’emprisonnement et a décidé de fuir à pied son pays