Coup de coeur mensuel
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Coup de coeurTURIST (FORCE MAJEURE - SNOWTHERAPY)

Ruben Östlund

Johannes Kuhnke, Lisa Loven Kongsli, Clara et Vincent Wettergren

120 min.
28 janvier 2015
TURIST (FORCE MAJEURE - SNOWTHERAPY)

Une famille modèle originaire de Suède se rend dans les Alpes françaises pour y passer quelques précieux jours de vacances dans une station de sports d’hiver. La neige est au rendez-vous, les pistes sont magnifiques, le soleil brille et la photo de cette famille au sourire ultra-bright est parfaite. Cependant, lors d’un déjeuner dans un restaurant de montagne, une avalanche vient bousculer la tranquillité des dîneurs. Pris de panique, les clients crient et s’agitent. Ebba, la mère essaie de protéger ses deux enfants et appelle à l’aide son mari, Tomas. Mais ce dernier a pris la fuite, ne songeant qu’à sauver sa peau. En définitive, il y a plus de peur que de mal car l’avalanche s’est arrêtée au pied du restaurant, et l’accident se conclut sans morts ni blessés. Cependant, pour cette famille suédoise bien rangée, l’incident est loin d’être clos car il a ouvert une brèche dans un équilibre familial qui s’avère être plus friable que les apparences ne le laissaient soupçonner. L’avalanche est au fond semblable à l’arbre qui cache la forêt.

A priori, Turist pourrait sembler stigmatiser la figure d’un pater familias qui, en s’enfuyant, a fait aveu de désertion, et ce faisant, a posé un acte de bravoure lâche et égoïste, qui n’a rien de très neuf mais qui est rarement revendiqué. Cependant, Ruben Östlund dépasse ce simple constat car il incite à se poser la question de la réactivité animale, instinctive et irrationnelle de tout homme lorsqu’il est confronté au danger. Schématiquement, l’Homme peut en effet réagir selon trois attitudes : l’attaque ou la contre-attaque (fight), la fuite (flight) et enfin l’immobilisation ou la soumission (submission). Or, nul ne peut prétendre avoir suffisamment éprouvé ses limites pour connaître avec certitude l’attitude qu’il adoptera lorsqu’il sera réellement confronté au danger. Dans le cas présent, c’est le père qui fuit alors qu’il est communément admis que son rôle social est de protéger sa famille. Mais cette autorité historiquement ancrée est-elle toujours d’actualité ? Et c’est là où se situe la seconde ascension intellectuelle de Turist .

Car, au-delà de la question purement instinctive et primaire, le film passe à la loupe, avec un humour caustique, subtil et parfois grinçant, les relations interpersonnelles qui se nouent et se dénouent au sein de la famille. Tel un témoin muet, c’est avec une caméra distanciée (dont les réalisateurs nordiques ont souvent le secret) que Ruben Östlund s’immisce pas à pas au cœur d’un couple et d’une famille dont les fissures ont été longtemps colmatées par le silence, les conventions et l’abnégation. Turist profite donc d’un incident (une avalanche sans gravité) pour provoquer un séisme familial et ainsi soulever l’épaisse couche des non-dits qui recouvre pernicieusement les comportements, conditionnements, accidents et mensonges que tout quotidien familial comporte. Ruben Östlund saisit ainsi l’occasion pour bousculer et remettre en question les fondements et les fonctionnements du couple et de la famille tels qu’ils se conçoivent traditionnellement. Soufflant le chaud et le froid, parfois simultanément, le réalisateur utilise à contre-emploi l’Eté des Quatre Saisons de Vivaldi lorsqu’il filme l’immensité glaciale des paysages enneigés, il utilise l’imposante force de la montagne pour nous rappeler qu’en dépit de l’attrait de sa beauté, celle-ci constitue également une menace pour les aventuriers que nous sommes tous sur les pistes parfois verglacées de l’existence.

Preuve est une nouvelle fois faite qu’en matière de couple, de famille et de relations interpersonnelles, on fait toujours plus du ski de fond qu’on n’ose vraiment se l’avouer et que nul n’est jamais à l’abri d’une petite ou d’une grande catastrophe.

( Christie Huysmans )

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