PABLO SCHILS ET JOELY MBUNDU
Dernier chapitre d’une chronique entamée avec "La Promesse" et " Rosetta", les frères Dardenne poursuivent inlassablement leur exploration de notre société et de ses marges, mettant en lumière failles et injustices. Et c’est le drame des migrants, des sans papiers que raconte ce nouveau récit.
Tori et Lokita viennent du Bénin. Ils se sont rencontrés sur le bateau qui les menait en Europe. Tori, encore enfant, 10 ans ? Lokita, presque adulte. Un lien très fort les unit, comme un pacte d’entraide dans le monde effrayant qu’ils traversent. Arrivés en Belgique, hébergés ensemble dans un centre d’accueil, Lokita se bat pour obtenir des papiers, se faisant passer pour la sœur de Tori. Une longue marche et un rêve : apprendre un métier, entamer une nouvelle vie… Et c’est là que le cinéma des Dardenne nous introduit dans la réalité de ces existences , tout près de nous, comme dans un monde parallèle. Interrogatoires impitoyables, truffés de pièges, pour Lokita, des prédateurs en embuscade : passeurs avides, trafiquants de drogue à la recherche de petites mains… Rues sombres, bâtiments glauques, labyrinthes inquiétants, murs décrépits filmés au plus près, comme sont filmés avec minutie, au cœur du concret, tous les gestes d’une vie au cœur du danger. Dialogues brefs, pas un mot de trop, c’est le rythme et l’image qui parlent, dans l’urgence, dans la lutte constante pour la survie.
Quelques moments de grâce aussi, lorsque Tori et Lokita chantent "A la fiera dell’Est", une sorte de comptine que leur a appris une vieille italienne lors de leur passage en Sicile et que chantait Angelo Branduardi dans les années 80. Et aussi de temps en temps, la langue du pays remonte, en chansons à peine esquissées.
Au-delà de l’efficacité de la dénonciation, avec un langage aussi économe que percutant, quelque chose d’indéfinissable émane des deux interprètes, une sorte d’émotion qui nous touche au cœur.
Tessa Parzenczewski