Tardes de Soledad

Albert Serra

Manuel Lara

125 min.
23 avril 2025
Tardes de Soledad

Il s’agit d’un documentaire sur le jeune et adulé torero péruvien Andres Roco Rey. La critique s’interroge (Le Soir) : « Quelle forme d’idéal peut amener un homme à poursuivre ce choc dangereux et inutile, plaçant cette lutte au-dessus de tout autre désir de possession » ? Toute la question est là.
Un acte aussi abject n’est pas un idéal. Parlons plutôt d’un ego de 100% au détriment de l’animal qui n’a rien demandé à personne, et qu’on insulte verbalement, en plus. On peut se demander si ce n’est pas, en fait, ce que le réalisateur veut démontrer alors que le torero, d’ailleurs très déçu par le film paraît-il, souhaitait surtout une apologie de ses actes abjects et espérait une meilleure mise en valeur de ses triomphes. Mais les taureaux choisis pour les combats, des animaux "difficiles" aux yeux du torero ne l’ont pas permis.
La boucherie est totale. Elle est scandée par les "olé" délirants d’une foule enthousiaste, que le réalisateur a choisi de ne pas montrer mais qu’on entend hurler sa joie. Des olé toutefois fugacement tempérés par quelques notes de la Valse triste de Sibélius. Une pointe d’humanité dans toute cette horreur.
On est frappé et agacé par la façon dont les quatre acolytes du torero remontent sans cesse le moral du « héros » par une flatterie avilissante et sans fin.
On est horrifié par la façon dont les taureaux finissent par s’écrouler après l’estocade finale, transpercés de banderilles depuis le début de l’affrontement.
On est horrifié, aussi, par la façon dont les chevaux, soigneusement aveuglés pour ne pas voir venir le danger, subissent les coups de boutoir des taureaux en furie. On imagine à quel point ils sont terrifiés.
Les seuls qui ne méritent aucune pitié sont les hommes qui mettent volontairement leur vie en danger en provoquant la confrontation avec un ennemi qu’ils se fabriquent et qui ne leur a rien demandé.
Le terme abject revient plusieurs fois dans ses quelques lignes car aucun autre mot ne pourrait mieux exprimer ce dont il s’agit.
Sur le plan de la réalisation, les sons enregistrés méritent une mention spéciale, en particulier le souffle des taureaux tout au long du combat et de leur agonie.
La prise de vue est très serrée, à tel point qu’elle devient parfois gênante à part quelques plans superbes de corps à corps très rapprochés. Du point de vue purement esthétique, si on veut faire l’apologie de la corrida, une succession de photos serait plus réussie qu’un film. Mais ne tombons pas dans le travers de « la belle photo » sur un sujet pareil !
Ce qui nous est donné à voir est déshonorant et révélateur de la face la plus abjecte (encore !) de l’être humain.

Anne-Marie Deboeck