Berlinale 2019
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Coup de coeurSYSTEM CRASHER

Nora Fingscheidt

Helena Zengel, Albrecht Schuch, Gabriela Maria Schmeide, Lisa Hagmeister

118 min.
4 mars 2020
SYSTEM CRASHER

Benni, neuf ans, souffre de graves troubles du comportement suite à un traumatisme survenu dans la prime enfance. Jolie petite blonde aux grands yeux bleus et aux allures de garçon manqué, elle a le visage d’un ange mais elle est intenable, imprévisible, sauvage, violemment agressive, et potentiellement dangereuse pour elle-même comme pour les autres. En conséquence, elle vit séparée de sa mère et ne parvient jamais à trouver sa place dans les structures susceptibles de l’accueillir. Ballottée de familles d’accueil en foyers, cette enfant hors norme, dotée d’une énergie incontrôlable, échappe à toutes les possibilités qu’offre l’aide à l’enfance.

C’est en réalisant en 2013 un documentaire dans un foyer pour femmes sans-abris à Stuttgart que la pétillante Nora Fingscheidt fut confrontée pour la première fois à ce que les services d’aide à la jeunesse appellent officieusement le phénomène du « System Crasher ». À l’époque, elle y fit la rencontre d’une adolescente de 14 ans, qui, après avoir été rejetée par toutes les institutions d’aide à l’enfance, n’avait trouvé d’autre solution que de se réfugier dans un foyer pour sans-abris. Interloquée par cette faille sociale et humaine dans un système qui, dans une certaine mesure, livre des enfants à l’abandon, touchée par leur détresse et leur souffrance, la réalisatrice allemande entama alors de longues recherches sur cette problématique, et entreprit un patient travail d’écriture qui l’amena à réaliser cinq ans plus tard « System Crasher ». Un projet de longue haleine qui, insiste-t-elle, lui tenait particulièrement à cœur non pour dénoncer les déficiences d’un système perfectible mais bien pour amener le public à plus de compréhension à l’égard d’enfants tels que Benni.

Pari réussi, puisque c’est avec une tendresse lumineuse que le film suit le parcours chaotique, voire cataclysmique, de cette enfant, qui, dans ses rages comme à travers les larmes, lance un poignant appel à l’aide. Un appel auquel les médecins et assistants sociaux qui l’entourent s’efforcent de répondre au mieux en multipliant leurs initiatives pour la stabiliser et la sécuriser. Soulignons d’ailleurs à cet égard que si le film dresse un constat d’impuissance du système allemand actuel dans la prise en charge d’enfants perturbés, il ne fait en aucune manière le procès de ses acteurs. C’est en effet avec une approche dotée d’une grande empathie, voire d’admiration, que Nora Finghshedt met en exergue les inlassables efforts des travailleurs sociaux pour venir humainement en aide à Benni.

Tant sur le plan thématique que dans son approche photographique, « System Crasher » entretient certaines similitudes frappantes avec « Mommy » de Xavier Dolan. Cependant, si le film canadien tirait largement sa puissance de la relation passionnelle qui unissait mère et fils, « System Crasher » dilue son étreinte émotionnelle à travers de plus nombreux personnages, lesquels contribuent à élargir le spectre de la dynamique sociale qui est à l’œuvre dans l’aide apportée à Benni (bien plus que dans le film de Dolan).

Couronné du Prix Alfred Bauer (qui récompense un film ouvrant de nouvelles perspectives) à la Berlinale 2019, « System Crasher » aurait également pu être récompensé du Prix de la Meilleure Interprétation Féminine, la jeune Helena Zengel (qui n’en n’est pas à son coup d’essai) étant tout bonnement extraordinaire. Bouleversante de justesse dans chaque plan, elle porte littéralement le film de bout en bout de manière absolument impressionnante.

Christie Huysmans