Kati Outinen, André Wilms, Jean-Pierre Darroussin, Jean-Pierre Léaud
Que l’humanité peut être belle quand elle est capable de tendre la main à celui qui en a besoin.
Quand elle ne tombe pas dans les pièges de l’indifférence au malheur d’autrui propres à notre époque déboussolée par la philosophie du chacun pour soi.
Arletty et Marcel s’aiment. Ils habitent Le Havre - comme les personnages de « La fée » d’Abel et Fiona Gordon. Elle est malade, très malade. Il est cireur de chaussures. Ils n’ont comme richesse que leur amour, leur bonté et des amis sur lesquels ils peuvent compter.
C’est-à-dire qu’ils ont tout ce qu’il faut pour croire aux miracles. A la force de l’entraide qui permettra à un jeune africain de rejoindre sa mère en Angleterre.
Il y a quelque chose de l’ordre de l’hostie dans cette œuvre magnifique d’Aki Kaurismaki. Ce quelque chose qui donne à celui qui la reçoit l’illusion, ne fusse qu’un instant, d’être relié à la meilleure partie de lui-même.
Celle qui sait faire taire ses peurs pour voir celles de l’autre et tenter d’y apporter un soulagement.
Tout est beau et noble dans ce film aux cadres précis, aux couleurs travaillées avec soin et avec coeur, aux dialogues brefs mais ciselés comme des répliques dignes des grandes plumes du siècle des Lumières.
Quant aux acteurs, ils sont tout bonnement épatants. Tant d’émotions et de retenue, de poésie et de fantaisie, de liberté et de rigueur, d’élégance et d’aisance donnent aux spectateurs une impression double.
Planer de bonheur et être ramené sans ménagement aux réalités d’une société qui accueille, armes aux poings, des clandestins chassés de chez eux par un mauvais destin.
Impression schizophrénique qui souligne la difficulté de se positionner au quotidien face au problème de l’immigration. Pour un humain de sauvé, combien d’emprisonnés, de malmenés ou d’expulsés ?
Ce n’est pas la première fois que le cinéma aborde cette question qui tiraille dans les réponses à y apporter - Welcome » de Philippe Lioret, « A l’Ouest » de Costa Gavras, « The invader » de Nicolas Provost - mais c’est la première fois qu’il le fait avec une poésie qui cerne de solidarité et de fraternité tantôt enchantée tantôt désenchantée la prise de position d’un réalisateur qu’on a toujours aimé.
Parce qu’il refuse la banalité, la fatalité, l’égoïsme aux noms de la douceur, du désespoir apprivoisé et de l’humour décalé.
Avec Aki Kaurismaki on est à la fois au pays de la prise de conscience qui ne se déclame pas et de la sobriété qui se revendique.
Comme étant les moyens par lesquels les humbles, « les gens de peu » comme les appelle Pierre Sansot portent à bout de bras ce que les intellectuels dévalorisent en la nommant d’utopie : la solidarité.
« Le Havre » a été nominé tout comme le film de Robert Guédiguian "Les neiges du Kilimandjaro" avec lequel il partage la même confiance (certains diront naïveté) dans la capacité de l’homme à être généreux pour recevoir le prix Louis Delluc 2011.
Il l’a remporté.
Un appel à ne pas céder au repli sur soi en ce début d’année sociale 2012 dont chacun redoute la rigueur ? (mca)