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LE CLIENT

Asghar Farhadi

Shahab Hosseini, Taraneh Alidoosti, Babak Karimi

123 min.
23 novembre 2016
LE CLIENT

Désormais connu et primé pour ses films qui traitent de la complexité des relations humaines, l’Iranien Ashgar Farhadi continue de scruter les côtés sombres de l’âme dans son dernier film « Le Client »1.

Après avoir tourné « Le Passé » en France, le cinéaste se voit à nouveau contraint de faire face à la censure existante dans son pays. Contrainte qu’il contourne à merveille, grâce aux choix subtils de sa mise en scène. Censure que l’on serait presque tenté d’apprécier tant elle permet au réalisateur de suggérer les choses, d’être dans le sous-entendu, le silence et le non-dit, laissant ainsi une grande liberté au spectateur. Liberté d’interprétation à laquelle nous sommes peu habitués, le cinéma ayant tendance à nous prendre par la main.

Tout en construisant une histoire palpitante, dont on a envie de connaître le déroulement, le cinéma d’Ashgar Farhadi fait la part belle à la réflexion. Ainsi, dans « Le Client » il nous fait entrer dans son film par les coulisses d’un théâtre, comme pour nous prévenir : « Attention, vous entrez dans une fiction. Ce que vous allez voir n’est pas vrai. » Ce n’est peut-être pas une histoire vraie à proprement parler, néanmoins, le degré de réalisme est tel que cela nous parle vraiment. Et sans doute encore plus pour un habitant de Téhéran.

« Il faut évacuer l’immeuble ! »
En pleine nuit, un immeuble risque de s’écrouler. Les vitres pètent, de grosses fissures déchirent les murs. Emad et Rana, un jeune couple, font partie des habitants qui doivent quitter les lieux en catastrophe. Le lit matrimonial a été déserté à la hâte. Le spectacle est désolant.

Grâce à un ami, ils emménagent dans un nouvel appartement, mais l’irruption d’un individu, à la fois client et vendeur, va bouleverser leurs vies. Le calme ne revient pas après la tempête et les tensions sont de plus en plus palpables.

À l’image des murs de leur ancien appartement, quelque chose s’est brisé. Le couple uni est mené à rude épreuve : face à une situation dramatique, il n’y a plus que de l’imprévisible. Emad et Rana découvrent progressivement des aspects inconnus l’un de l’autre ainsi que de soi-même. Le paradoxe humain qui intéresse particulièrement Ashgar Farhadi réside dans le fait que nous sommes proches et en même temps étrangers à nous-mêmes. Dans des situations inédites, douloureuses, nous pouvons avoir des réactions et des comportements que l’on n’aurait jamais pu imaginer. Ne se reconnaissant plus, Rana et Emad sont tantôt troublés et choqués l’un de l’autre et tantôt dépassés par eux-mêmes. Le doute s’installe alors qu’ils essaient de faire face aux conventions sociales. Surgit alors une violence liée à une envie obsessionnelle de vengeance aussi animale qu’irrationnelle.

La perte de repaires est reproduite en parallèle à travers la pièce de théâtre que le couple représente : « La mort d’un commis voyageur »2 qui critique une société (l’Amérique de la Grande Dépression) où les individus - ici un vendeur - perdent la tête et ne parviennent plus à distinguer le rêve du réel. Les destins des deux vendeurs – celui de la pièce de théâtre et celui du film – sont très proches.

Que cela vienne de l’Amérique des années 40 ou de l’Iran actuel, ce qui nous est également proche, c’est la réflexion existentialiste qui se dégage de ce récit et, plus loin, la question universelle et troublante du pardon … quand le bourreau devient victime.

Un film à voir sereinement et sans désespoir.

Luz

1 En anglais le film s’intitule « The Salesman » (le vendeur) ainsi qu’en iranien.

2 « Death of a Salesman » d’Arthur Miller (1949).