Blanche Gardin, Corinne Masiero, Denis Podalydès, Vincent Lacoste
Trois voisins vivant dans un lotissement de province, et qui se sont connus lors de la révolte des gilets jaunes, sont les victimes innocentes d’Internet. Marie (Blanche Gardin) est la cible d’un maître-chanteur sans scrupules (Vincent Lacoste), qui, après une soirée un peu trop arrosée, menace de diffuser une sex-tape sur les réseaux sociaux. Bertrand (Denis Podalydès), père veuf et surendetté, essaie d’entrer désespérément en contact avec l’opaque censure des géants du web pour défendre sa fille, victime de cyber-harcèlement à l’école. Et enfin, Christine (Corinne Masiero), chauffeur VTC accroc aux séries télé, désespère de ne pas voir décoller sa cotation clientèle. Tous ont en commun d’être dans la dèche financière et d’être dotés d’une grande naïveté, ce qui fait d’eux des proies éminemment faciles en matière d’arnaques. Mais l’union faisant la force, ils décident de partir en guerre contre les géants du web. Une guerre au cours de laquelle ils connaitront bien des déboires.
Couronné à juste titre de l’Ours d’Argent de la 70ème Berlinale, « Effacer l’historique » est un film absolument immanquable ! Une comédie sociale et populaire, truculente et jubilatoire, truffée de scènes désopilantes qui, de bout en bout, tournent en dérision les aberrations surréalistes et les dérives tragiques de notre société hautement digitalisée.
La satire est totale et universelle, l’efficace tandem Delépine et Kervern n’ayant omis de passer au crible quelque domaine que ce fût : totalitarisme commercial et politique des GAFA, pillage et monétarisation de nos données à caractère privé, contrôle et « divine » manipulation du partage de l’information, ubérisation, automatisation et déshumanisation grandissante des services publics (tare qui n’est guère une exception française !)… Tout est passé à la moulinette (voire, dans certains, tronçonné sans vergogne !) avec un panache hilarant et décalé, qui, s’il a le don de nous faire pleurer de rire, est loin d’être anodin tant il dénonce avec une corrosive acuité les travers et la folie de notre monde moderne.
Ces trois héros, semblables à des Don Quichotte défiant la tyrannie numérique, sont aussi drôles qu’attachants, et il en va d’ailleurs de même pour tous les micro personnages secondaires. Ne passent ainsi pas inaperçus le caméo de notre inimitable Benoît Poelvoorde en cyclo-livreur pressurisé par le contre-la-montre que lui impose son employeur Alimazon, celui de Bouli Lanners en suppôt angélique du Dark Web, ou encore l’inénarrable Michel Houellebecq en parfait candidat au suicide. Mais si ce sympathique trio d’anti-héros nous fait rire allégrement, c’est aussi parce qu’il nous amène à rire de nous-mêmes et à revivre des situations ô combien familières et qui, dans la réalité, auraient bien plus tendance à nous faire grincer des dents.
Ajoutons enfin que si ce film, qui s’appuie d’ailleurs dans sa narration sur les ressorts du conte de fées tout en les déjouant et en les travestissant, n’a nullement la prétention de sauver la planète d’un système qui nous fait souvent dérailler (et qui, un jour, déraillera peut-être complètement si un virus informatique de type 19.0 lui est inoculé), il nous raconte aussi une histoire humaine où la solidarité et l’amitié sont des clés qui n’ont rien de virtuel et qui, çà et là, ont encore les capacités de pirater un monde subordonné à une intelligence, somme toute, très artificielle.
Christie Huysmans